L'arrestation de sans-papiers se rendant à la préfecture est
jugée illégale
LE MONDE | 22.02.07 | 14h35
La
Cour
de cassation considère que l'arrestation d'un sans-papiers convoqué au guichet
d'une préfecture est illégale. Dans une décision datée du 6 février, la plus
haute instance judiciaire estime que "l'administration ne peut utiliser
la convocation à la préfecture d'un étranger (...) qui sollicite l'examen
de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire
procéder à son interpellation". Cette décision est rendue publique alors
que les ministres de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, et de la justice, Pascal
Clément, ont encouragé, par circulaire du 21 février 2006, les préfets et les
procureurs à effectuer ce type d'arrestations.
La Cour
de cassation estime que ces
procédés sont contraires à l'article 5 de la Convention
européenne
des droits de l'homme. Dans l'affaire jugée, un ressortissant algérien, qui
faisait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, s'était présenté, le
27 décembre 2004, à la préfecture de Seine-Saint-Denis "sur
convocation, à la demande de son avocat qui sollicitait un réexamen de sa
situation administrative". Interpelé, il avait été immédiatement
placé en rétention administrative par le préfet. Deux jours plus tard, le juge
des libertés et de la détention avait annulé cette décision, jugement confirmé
le 31 décembre par le premier président de la Cour
d'appel de Paris. Le préfet avait formé un
pourvoi en cassation contre la confirmation de la remise en liberté.
"La décision de la
Cour
de cassation est très importante parce qu'elle montre
que, dans un Etat de droit, il y a des frontières éthiques qu'il ne faut pas
franchir",
souligne Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue
des droits de l'homme. "Cette
jurisprudence souligne qu'aucun État de droit n'est possible si l'État tente de
piéger les citoyens", note Jean-Pierre Alaux, chargé d'études au Gisti
(Groupe d'information et de soutien des immigrés).
D'un
point de vue juridique, la situation reste complexe. Si la Cour
de cassation déclare
illégale l'interpellation au guichet d'une préfecture, le Conseil d'État a,
quant à lui, validé, le 7 février, le contenu de la circulaire du 21 février
2006 appelant les préfets et les procureurs à opérer de telles arrestations
(dans les préfectures mais aussi sur la voie publique, au domicile ou dans des
foyers). La haute juridiction administrative avait estimé que, dès lors que la
convocation ne présentait pas d'indication mensongère, les interpellations
éventuelles n'étaient pas "déloyales". "Le texte qui,
pour la première fois, organise les "convocations-pièges" est légal,
mais il sera possible de contester, en principe avec succès, dans un cadre
individuel les arrestations opérées sur la base de telles convocations",
a commenté le collectif Uni-e-s contre l'immigration jetable.
La
décision de la Cour
de cassation sur les interpellations est rendue publique alors que M. Sarkozy a
été contraint, sous la pression du Conseil d'État, de modifier un autre texte
sur la lutte contre l'immigration clandestine. La commissaire du gouvernement
du Conseil d'État avait en effet demandé l'annulation, le 7 février, de
l'arrêté d'août 2006 créant le fichier ELOI destiné à enregistrer des données
sur les étrangers clandestins et les personnes qui les hébergent et leur
rendent visite (Le Monde du 9 février). Face au risque d'annulation,
motivé par une raison de forme, le ministère de l'intérieur a annoncé qu'il
allait rédiger un nouveau texte.
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Luc Bronner
Article paru dans l'édition du 23.02.07